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LE RAISIN VERT

Tout le village était ainsi, un dédale secret, feuillu, cloisonné de murs épais qui arrêtaient le regard et se renvoyaient la chaleur. Ici et là, une racine de figuier bosselait le sol de la ruelle, rejet de l’arbre puissant dont le feuillage, par-dessus le mur, couvait un bourdonnement d’abeilles.

Au bout de cinquante pas, le Corbiau se trouva égarée dans ce lacis de ruelles et y prit d’autant plus de plaisir qu’elle ne l’avait pas fait exprès. Qu’allait-il lui arriver, à présent que le hasard menait le jeu ? Lorsqu’on ne voit aucune raison d’aller à droite plutôt qu’à gauche, n’est-ce pas à ce moment-là que quelqu’un décide pour vous ? En faisant bien attention, ne pourrait-on surprendre ce « quelqu’un » à l’œuvre ? La tête penchée, le profil à demi voilé par ses cheveux noirs, plats et glissants, elle ne voyait plus rien des lieux où elle passait, réfugiée dans ce désert intérieur qu’elle préférait à tous les paysages du monde et dont il lui fallait disputer douloureusement la possession aux êtres qu’elle aimait.

C’est ainsi qu’elle aboutit trois fois de suite à la même petite place criblée de soleil, sous le ciel uniformément bleu. Chaque fois, elle emportait la même image : le platane et son ombre ocellée de lumière, le banc et la table de bois blanc devant l’auberge qu’un rideau de perles vertes défendait du soleil et des mouches.

Enfin, levant la tête, elle vit tout cela qu’elle n’avait pas encore regardé et se dit : « C’est étrange. Il me semble que je connais cet endroit depuis longtemps. » Alors, comme elle allait s’engager pour la quatrième fois dans le même petit chemin de terre sèche et de cailloux qui la ramenait toujours au même endroit, par un labyrinthe de soleil et d’ombre, elle s’en écarta, fit le tour de l’auberge et découvrit un sentier montant derrière le dépotoir où la hampe d’un yucca, portant ses clochettes blanches, s’élevait d’un tas d’es-