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LE RAISIN VERT

Isabelle jeta un coup d’œil à la petite robe de toile bleu lin que portait le Corbiau. Comme tous les soirs, cette robe conservait la trace blanchâtre du goémon brûlé.

— Ce qu’elle a fait ? Elle a traversé le village, passé devant la petite place de l’auberge et pris le sentier qui mène à la falaise du Gragnon. Et là, elle s’est assise à côté de la maison du docteur, sur ce rocher en forme de cuve où les paysans font brûler du goémon à l’abri du vent pour en utiliser les cendres. Ai-je gagné, Corbiau ?

Elle riait, sûre d’elle-même, tendre et taquine.

Un temps se passe, le temps qu’il faut pour qu’une figue mûre, là-haut, dans l’ombre, achève de rompre son pédoncule. Elle tombe, faisant ployer au passage les feuilles raides et bruissantes et s’abat sur le sol avec un doux bruit d’écrasement.

— Tu as gagné, dit le Corbiau. Tu gagnes toujours.

Elle avait parlé sans regarder personne, les yeux à terre. Presque aussitôt, comme s’il y avait eu dans ses paroles une intention qu’elle se reprochait, elle vint embrasser Isabelle et appuya sa tête sur son épaule en fermant les paupières. Isabelle lui caressa légèrement les cheveux, et, comme si, de son côté, elle avait perçu un reproche, elle dit à mi-voix dans l’ombre, en soupirant :

— Ce n’est pas de ma faute.

Le gravier crissa sous les sandales de Lise et de Laurent, qui rentraient ensemble, Lise portant glorieusement le seau de fer-blanc qui contenait la pêche de son frère. Tout en allongeant le pas pour se maintenir à côté de lui, elle mâchonnait de sourdes injures entre ses dents serrées :

— Lâche ! Brute ! Ignoble personnage ! Toujours me donner des coups de pied de vache dans les chevilles ! Attends un peu, que je le dise à papa…

— Chiche ! répondit Laurent.