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LE RAISIN VERT

Lise découvrit son père et prit aussitôt un air épanoui :

— Quelle délicieuse soirée ! C’est un plaisir d’être dehors, n’est-ce pas ?

— On s’en aperçoit, bougonna M. Durras. La prochaine fois, vous vous passerez de dîner. Marie, M. Laurent vous apporte des limandes, mais vous les donnerez au chat. Je défends que l’on serve à table de ces choses infectes qu’il va pêcher dans la vase, pour nous donner toutes les maladies.

Toute la maison dormait, sous le ciel criblé d’astres, la maison basse, enfouie dans les sauges, les hortensias, les menthes.

Toute la maison dormait, sauf l’horloge à balancier du vestibule. Le Corbiau l’entendait du fond de son lit et s’efforçait de régler sa respiration sur ce rythme régulier, pour apaiser les battements de son cœur et trouver enfin le sommeil.

Mais son cœur continuait à frapper ses côtes à grands coups désordonnés, dur comme un poing fermé qui ne veut pas lâcher ce qu’il tient. Et son corps tout entier était tendu, arc-bouté comme pour une résistance, tandis que sa pensée tournait sans relâche autour du même point.

Ainsi, quelqu’un de la maison sait qu’elle va s’asseoir tous les jours au même endroit, sur ce rocher qui garde les traces de la flamme et de la cendre.

Ce quelqu’un là sait-il aussi qu’elle attend ce moment depuis le matin, et qu’ensuite elle attend l’heure du coucher pour être seule et dénombrer ses souvenirs, avec une joie d’avare qui compte et recompte ses pièces d’or à la lueur d’une lanterne sourde ? Une chevelure grise, couleur d’argent et de cinéraire maritime, entrevue par une fenêtre ouverte. Le son