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LE RAISIN VERT

front baissé et l’œil luisant. Elle tenait par un pied, la tête en bas, une poupée de carton-pâte dont un petit bracelet de pantalon en fausse dentelle encerclait les cuisses dures, d’un rose-buvard.

— Tu veux jouer à la poupée ? demande Lise sans entrain, tandis qu’elle lui ouvrait la porte.

Bercer un simulacre ne lui avait jamais causé aucun plaisir. Elle préférait inventer des enfants, lorsque le besoin s’en faisait sentir. Il lui arrivait alors d’en enfanter quatre-vingt-douze, pour lesquels toute la famille était invitée à chercher des noms.

— Elle a été méchante, dit Marie-Ja, dardant son petit œil luisant sur le pantalon ourlé de fausse dentelle. On va la fouetter chacune à son tour.

Très excitées, elles s’en allèrent sous la tonnelle. Marie-Ja arracha une girandole de lierre qui pendait le long du mur et, couchant la poupée sur ses genoux, lui retroussa la robe avec une lenteur gourmande. Après un instant de contemplation, son bras s’abattit, armé du martinet de lierre :

— Allez ! Allez, mademoiselle !

Enfin, n’en pouvant plus, elle tendit à Lise la victime, qui n’avait cessé de sourire de toutes ses petites dents de porcelaine :

— À ton tour. Fort, hein ?

Lise fixait sur Marie-Ja l’œil de la pie qui voit briller un dé dans une corbeille à ouvrage :

— Ça, alors, dit-elle, c’est drôle. C’est dans la famille, hein ? Ta mère et toi, quand vous tapez, on dirait des blanchisseuses au lavoir. Et pan ! Et pan ! Et pan ! C’est un bonheur.

Marie-Ja fronça les sourcils, ouvrit la bouche et parut se demander ce qu’elle devait penser de cette remarque.

C’est à ce moment que Laurent apparut sur le seuil de la tonnelle, vêtu d’une courte culotte de toile bleue et d’une chemise ouverte sur son torse. Il avait une