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LE RAISIN VERT

Elle n’éclata pas et la cloche sonna… Et les retardataires poussèrent un cri de désespoir unanime qui figea Mlle  Dyne sur sa chaise, pour une minute de grâce.

Tout le monde avait quitté la classe, mais Anne-Marie Comtat demeurait seule dans le laboratoire attenant à l’amphithéâtre et dont elle avait la clef, à titre de « préparatrice ».

Bien qu’elle n’eût rien à y faire, aujourd’hui que l’on n’avait usé d’aucun appareil, elle se donna le plaisir de passer un moment dans cette pièce nue, vitrée, où le soleil faisait étinceler les cornues, le long du mur ripoliné de blanc.

On l’accusait en riant de faire du zèle, pour plaire à Mlle  Dyne. En vérité, Mlle  Dyne n’était pas un de ces professeurs prestigieux qui suscitent des passions de maître à disciple. Elle avait l’esprit clair, un goût de la précision poussé jusqu’à la manie et une admirable conscience professionnelle, mais point de génie. Cependant, le Corbiau se sentait de grandes obligations envers Mlle  Dyne, qui lui avait beaucoup donné sans le savoir.

Lorsqu’elle décrivait un phénomène, Mlle  Dyne usait à profusion de l’honnête et prudente formule scientifique : « Tout se passe comme si… »

Pour le Corbiau, naturellement encline à cultiver l’incertitude, avec le besoin profond de réserver par là les chances de l’absolu, cette formule avait été le point de départ d’une nouvelle religion qui la satisfaisait pleinement, la religion du doute. Elle ne constatait plus rien sans se mettre à l’abri du « Tout se passe comme si… »

Elle s’étira avec satisfaction, les deux mains à la nuque, où ses cheveux étaient maintenant rassemblés et retenus par un nœud papillon de taffetas