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LE RAISIN VERT

rencontrent dans le vestibule, ils me disent bonjour. Je réponds seulement par un petit coup de tête, comme ça, sec. Tu comprends, les Anglais, dès qu’on est un tant soit peu aimable avec eux, ils vous embrassent sur la bouche. »

Lise riait, Isabelle riait, le Corbiau souriait, paisible, un peu lointaine, hochant la tête de temps à autre pour attester que Lise disait bien la vérité. Et les yeux graves de Laurent, tantôt s’éclairaient d’une lueur d’humour, tantôt s’assombrissaient lorsqu’il songeait à ce monde des filles dont sa sœur, sans y prendre garde, lui ouvrait les arcanes. Au fond, elles pensaient toutes à la même chose. Aller toutes nues, croire qu’on veut les embrasser… Pauvres cervelles !

Enfin la bavarde arriva au grand événement de la matinée : Emmanuelle.

— On ne peut pas dire que ce soit une de ces beautés à s’aplatir devant, non. Cassandre est plus belle, plus régulière. Mais celle-là a quelque chose… quelque chose d’inouï. Quand elle vous regarde, en retroussant sa petite lèvre du haut, ça vous prend à l’estomac et on marcherait contre un canon. Laurent explosa tout à coup :

— Dieu ! que ces filles sont bêtes ! Sais-tu seulement ce que c’est, qu’un canon, pauvre idiote ? Je voudrais vous y voir, toutes, devant les canons. Mange et tais-toi. Tu nous énerves.

— Je t’en prie, toi, s’écria Isabelle impulsivement, ne remplace pas…

Il y eut un silence, Mme Durras se mordilla la lèvre et haussa les épaules. Laurent, le sourcil bas, regardait fixement son assiette. Lise se ternissait à vue d’œil, rejetée hors de son élément. Et le Corbiau, d’instinct, tourna les yeux vers la porte, tant l’atmosphère qui les avait saisis était semblable à celle qui émanait des muettes représailles d’Amédée, lorsqu’il