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LE RAISIN VERT

masculins, se tenait assise de biais, le buste tourné vers Lise, un genou légèrement fléchi, incliné vers le sol, esquissant un semblant de génuflexion que le comte accordait en hommage à Suzanne, sans pour cela déchoir de son rang.

Marcelle Bopp avait de ces trouvailles qui faisaient briller ses grands yeux verts, translucides et pleins de malice dans son visage osseux et brun, traversé d’une grande bouche au sourire hardi.

— Ah ! charmante fille, disait-elle avec cette ardeur sèche qui avait trouvé son emploi dans le rôle d’Almaviva, ah ! charmante fille, feras-tu longtemps languir ton seigneur ?

— Monseigneur, répliqua Suzanne d’une voix enfantine, avec un coup d’œil de défi moqueur, Monseigneur, je suis votre servante. Mais comment pourrais-je oublier ce que je dois à Madame ?

— Pourquoi toujours parler de Madame ? reprit le comte, et l’œil vert et translucide se voila d’ennui. Madame a eu son heure, Suzanne. L’amour, vois-tu, n’est que le roman du cœur

C’est le plaisir qui en est l’histoire, acheva promptement Suzanne. Nous savons. Mais, Monseigneur, l’histoire ne concerne que le passé. Or, pardonnez-moi de vous le dire en face, Monsieur le comte, c’est Figaro qui est mon futur.

— Ouf ! s’écria Marcelle Bopp, recouvrant sa personnalité première, ça c’est envoyé ! Tu as entendu, Cassandre ?

Un visage très blanc, couronné d’une tresse aux reflets vénitiens, apparut entre deux manteaux et Figaro répondit d’une voix grave de reine de théâtre :

— J’ai entendu. Merci, ma Suzanne.

Cependant Lise, si enchantée de sa réplique qu’elle croyait sentir des étincelles lui parcourir les cheveux, jetait à chaque instant des coups d’œil furtifs pardessus son épaule : « Viendra-t-il aujourd’hui ? »