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LE RAISIN VERT

— Elle a fait ce qu’elle a pu, dit le Corbiau à mi-voix. Rien n’a servi à rien. Et maintenant le destin est en marche et elle se repose. Elle a dit oui à tout.

— Si papa t’entendait, s’écria Cassandre en riant, il te dirait : « Vas-y, ma fille, mets du tien où j’ai mis du mien, ils ne risquent pas de se rencontrer ! »

— C’est votre père qui a fait cela ? demanda Laurent. Compliments. C’est quelqu’un.

Les prunelles mordorées de Cassandre brillèrent d’orgueil dans son teint blanc.

— Oui, c’est quelqu’un de bien, mon petit papa-colosse. Et elle ? Elle est belle, n’est-ce pas ?

— Elle vous ressemble, dit Laurent, comparant du regard les deux visages.

— Il y a des chances, répondit Cassandre avec simplicité. C’est maman.

Un sourire pieux illumina ses traits :

— Tous les matins, figurez-vous, je dis une petite prière de ma façon devant cette image, pour moi et pour mon petit papa-colosse.

— Elle est… elle est morte ? demanda Laurent à mi-voix, l’œil humide, totalement désarmé.

« Mais il est charmant ! se dit Cassandre. Quels beaux yeux ! »

Une allégresse lui monta de la poitrine aux lèvres. Elle se mit à rire, mimant en l’air la fuite à tire d’aile d’un oiseau :

— Fichu le camp avec un chanteur. J’avais dix-huit mois. Jamais plus entendu parler d’elle. Pauv’ petit papa ! C’est garce, les femmes, quand même. Oh ! pardon, je vous ai choqué ? Comme vous êtes pudique, monsieur Laurent !

La physionomie froncée de Laurent parut hésiter. Enfin, il se mit à rire doucement et l’expression d’indulgence patriarcale reparut dans ses yeux.

— Vous êtes un drôle de numéro, dit-il, jeune Cassandre.