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LE RAISIN VERT

Ce major leur avait amené un de ses amis, dit Patachon, aide-major de l’armée belge, attaché pour l’instant à un hôpital parisien. Et Cassandre avait décidé que Patachon serait « le sien ».

— Mais enfin, comment est-il ? demanda Lise un jour, lasse d’un lyrisme imprécis.

Les prunelles mordorées s’illuminèrent et Cassandre, parée d’un rayonnement de beauté surnaturelle, répondit sur le ton du plus suave cannibalisme :

— Il est blond et il est gras.

Après ce coup, Lise se mit en devoir de traiter vigoureusement son amie, tantôt par la raison, tantôt par l’ironie la plus corrosive. Rien n’y fit.

Inaccessible, invulnérable, Cassandre se chauffait à sa propre flamme, s’éclairait de sa propre lumière, se reposait sur sa propre langueur, visitée à chaque instant de sourires intérieurs qui allongeaient encore ses longs yeux et l’emportaient bien loin de la classe et de Lise.

Puis, cette sérénité, ce bercement paresseux et content d’une âme engourdie par le doux poison firent place à l’agitation des intoxiqués, et, un beau matin, pendant le cours de philosophie, Cassandre, tournant vers son amie des prunelles de biche qui implore du secours, lui chuchota :

— Patachon m’a demandé d’aller prendre le thé chez lui.

— Ah ! non, dit Lise. Je te le défends. Il en a un toupet, Patachon !

— C’est bien ce que je pense, soupira Cassandre et elle tourna vers son mentor un visage ému de reconnaissance.

Une semaine plus tard, pendant le cours de physique, ce fut du défi que Lise déchiffra dans ses yeux :

— Tu sais, j’y vais, prendre le thé chez Patachon. J’ai promis d’y aller jeudi.

— Bien, dit Lise. J’irai avec toi, et j’emmène Anne-