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LE RAISIN VERT

Lise reprit sa route, les oreilles étourdies d’un carillon de fête. Elle venait d’entendre la voix de Ronsard.

Hélène, croyez-moi, n’attendez à demain…

Un miracle de plus, un souffle fugitif de l’esprit voyageur qui fait le génie des peuples, bâtit les chefs d’œuvre avec la complicité du ciel et de l’eau et fait parler du même ton, sans souci du rang ni du temps, un poète de la cour des Valois et un ouvrier manchot.

Allègre course de l’esprit… Pour la saisir, il ne faut que l’attention des sens et une disposition de l’âme propice aux jeux de l’invisible. Et Lise s’en allait, le long du fleuve poudroyant de lumière, éphémère enivrée d’une liqueur immortelle. Elle ne désirait rien de plus, car le sort avait voulu qu’elle fût le lieu d’une rencontre et d’un accomplissement et que, dans les profondeurs de son être léger, la quête aveugle d’Amédée possédât enfin le monde à travers la trame sensible d’Isabelle.

— Comment te sens-tu ce soir, mon Corbiau ?

— Très bien, ne te tourmente pas.

Isabelle remonta la couverture qui avait glissé de la chaise longue, contempla le petit visage fiévreux où les pupilles dilatées paraissaient plus vastes que jamais. Et son regard, malgré elle, trahissait son alarme.

— Toi, dit-elle, je vais t’envoyer à la montagne et bien vite. Et si je te vois toucher un livre…

— Je n’ai plus envie de lire, dit le Corbiau en souriant. Va, repose-toi, tu n’en peux plus.

Isabelle secoua ses cheveux, de son mouvement têtu de chèvre aux prises avec un buisson.

— Je me reposerai quand je t’aurai refait du sang, pas avant.