Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
LE RAISIN VERT

dule, c’est vrai ce que j’ai entendu raconter, que tu veux mettre Laurent pensionnaire à La Canaille ? Laurent Durras ? le fils d’Amédée Durras avec des canailles ?

Amédée abaissa sur elle un regard surpris, et Lise, concentrant tout son pouvoir de mimique, entrouvrant la bouche, écarquillant les yeux, écartant les mains, essayait de lui suggérer que la chose était à ce point incroyable qu’elle en devenait impossible.

M. Durras en était encore à se demander comment il fallait accueillir l’audace de sa fille, si son jeu de mots était une feinte, une naïveté ou une sottise et s’il convenait ou non de se fâcher, lorsqu’il vit arriver son fils, par la porte qui faisait communiquer la chambre d’Isabelle avec celle des petites.

Il arrivait, ignorant tout de la discussion dont il était l’enjeu, tranquille, les mains dans les poches, promenant çà et là le regard curieux et pensif de ses beaux yeux sarrasins, pleins de soleil et d’ombre, de paresse et de pensée.

— Écoute-moi bien, dit Amédée. C’est de toi qu’il était question, comme toujours. Ta mère ne veut pas que tu ailles en pension, pour te garder à la maison et te pourrir le caractère. Et moi, je veux que tu ailles en pension, parce que les caractères comme les tiens ont besoin d’être matés. On prétend que je suis autoritaire. C’est faux. Et je vais t’en donner une preuve. Je t’ai exposé la situation : ou bien tu resteras à la maison selon le désir de ta mère et tu deviendras un parfait voyou, ou bien tu iras en pension et on essaiera de faire de toi quelque chose. Choisis.

— Oh ! s’écria Isabelle, est-il permis d’être aussi buté sur une erreur… ou alors, ou alors, d’être aussi perfide ?

— Choisis, reprit Amédée, dédaignant l’interruption.

Laurent, les poings dans ses poches, les mâchoires