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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/64

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LE RAISIN VERT

sur le même ton, dire les choses que tout le monde dit, et surtout ne jamais prononcer : « Je t’aime, » et tâcher de ne pas le penser. On devrait se cacher, se tapir, faire semblant d’être un arbre, une pierre, pour que les Invisibles ne vous découvrent pas, ne sachent pas que cette chose a un cœur vivant — et s’il bat trop fort, ce cœur, se coucher sur lui et l’étouffer.

Mais qui sait cela, ici ? Isabelle ? Non, trop brave, trop téméraire. Comme elle explose dans la colère ou dans la joie, comme elle appelle la foudre ! Imprudente à qui l’on voudrait dire, tant de fois : « Tais-toi, je t’en prie… »

Lise ? Dieux ! la plus folle de tous !

Aussi, voyez comme elle pleure, maintenant.

Laurent ? Oui, Laurent. Celui-là sait. Cet œil attentif, cette oreille subtile, toujours en alerte…

Et justement… qu’a-t-il perçu ? Il a dressé la tête et ses prunelles bougent.

— On dirait… Mais oui… J’entends une clef dans la serrure de la porte d’entrée.

Isabelle le regarde, incrédule :

— Allons donc !

Et Lise, cessant de pleurer :

— Tu es fou ?

Mais le Corbiau, déjà, est debout et se prépare à ce qui va suivre. Il faut que le messager du malheur la trouve en train de faire semblant d’être invulnérable. Elle est la seule à ne pas changer de visage lorsque des pas secs et rapides font craquer le parquet de la petite antichambre et que M. Durras s’encadre dans le chambranle de la porte brusquement ouverte :

— À la bonne heure ! On s’amuse, pendant que je suis dans le Jura. Seulement, ma chère amie, je vous en préviens charitablement pour une autre fois : quand vous préparerez une mascarade aux environs de la Mi-Carême, prenez garde de ne pas laisser traîner des bouts d’oripeaux sur le tapis…