Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
50
LE RAISIN VERT

suis une horreur ! Ah ! ça, quel homme êtes-vous donc, monsieur Durras ?

— Quel homme je suis ? Quel homme je suis ? Que veux-tu dire ? Veux-tu prétendre que je suis un méchant homme ? On t’a dit cela de moi, peut-être ? Réponds !

— Mais non, répliqua Lise étonnée. Personne ne m’a rien dit de toi.

— Ah ! soupira M. Durras, à la fois soulagé et déçu. Bon. Mais toi, tu sais bien, n’est-ce pas, que je ne suis pas méchant ? Tu sais bien que je ne souhaite qu’une chose, c’est que vous soyez tous contents ? Jamais je ne vous ai empêchés de vous amuser, jamais !

— Jamais, dit Lise. Et la preuve, mes enfants, c’est que je vais vous conduire tout à l’heure, moi-même, au bal de la pension Rémusat.

Il la regarda, penaud, et le ressentiment dompté reparaissait au fond de ses yeux bleus.

— Toi, dit-il enfin. Toi seule, parce que tu as bien travaillé. Pas les autres.

— Écoute, proposa Lise. On va tout arranger. Tu m’emmènes, moi, parce que j’ai bien travaillé. Et puis moi, j’emmène les autres.

Ce n’était pas ainsi qu’ils avaient rêvé d’aller à cette fête, assis tous les quatre au fond d’un taxi, empesés d’embarras, en face de cette pâle figure d’homme qui regardait par la vitre filer le ruban luisant des trottoirs mouillés.

Lise elle-même ne pouvait se dissimuler ce qu’il y avait de pitoyable dans ce replâtrage. Cela ressemblait au dessin de Laurent qu’Isabelle avait recollé sur du carton, avant de partir. Malgré tous ses soins, on voyait les raccords, une lézarde pareille à la trace de la foudre rompait la mystérieuse unité du dessin