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LE RAISIN VERT

et de vindicte qu’il évoquait le calme du jugement dernier.

Amédée ignorait, ou feignait d’ignorer, la source souterraine où s’alimentait la force redoutable de ce silence. Il oubliait — ou voulait oublier — que, dans le cours de l’hiver, il avait allégué la nécessité de réduire les dépenses pour supprimer les leçons de musique qu’Isabelle faisait donner aux enfants, et que cette mesure avait eu pour effet de priver Laurent d’un moyen d’expression où il excellait et de l’une des rares disciplines auxquelles il se pliât de bon cœur.

Cette discipline abolie, il ne resta plus que le goût élémentaire des sons, et la même main, qui naguère traduisait si délicatement Mozart et Schumann, fatiguait à présent le piano de balbutiements chaotiques qui faisaient bondir Isabelle : « Assez ! Tu es comme une bonne qui s’imagine faire de la musique quand elle essuie le clavier ! »

Il y avait cela dans un plateau de la balance, et dans l’autre, un lot de pierres fausses. Et le silence d’Isabelle évaluait l’un et l’autre à son juste poids.

Cependant, M. Durras ayant choisi dans le lot deux béryls roses qui étaient, eux, authentiques, il les fit monter en pendentif pour sa femme et sa fille et se débarrassa définitivement de sa mésaventure en inscrivant la somme de deux mille francs au compte « Pertes et Profits » qui occupait une des colonnes de son grand livre noir.

Ce fâcheux souvenir était donc logé à jamais dans le ciel des abstractions lorsque M. Durras fit la connaissance d’un ingénieur chimiste d’une trentaine d’années qui répondait au nom de Gaston Pignardol.

— Eh bien, mon amie, que pensez-vous de Pignardol ? demanda-t-il à sa femme, l’après-midi du jour où le chimiste, invité par lui, était venu déjeuner à la maison. N’est-ce pas que c’est quelqu’un ?