Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
LE RAISIN VERT

venu. Un père qui se serait assis sur le lit et qui aurait demandé, d’un ton naturel : « Eh bien, voyons, mon garçon, qu’est-ce qui se passe ? »

Ce recours-là était refusé à Laurent et Mme Durras, loin de pouvoir confier à son mari les inquiétudes que lui causait leur fils, devait s’ingénier au contraire à les lui cacher. Toute la maisonnée la secondait dans la réalisation de ce dessein, depuis Lise et le Corbiau qui avaient pris l’initiative de « retoucher » le dernier bulletin trimestriel en ajoutant un I à la gauche de toutes les notes et en effaçant le même I, à l’aide d’une barbe de plume d’oie trempée dans l’eau de javel, partout où ce chiffre accusait une place inférieure au dixième rang, — jusqu’à Marie qui, d’elle-même, guidée par une surprenante intuition, remettait toujours à Madame, bien qu’elles fussent adressées à Monsieur, les lettres portant l’en-tête du Collège du Saint-Esprit et qui contenaient les bulletins de semaine.

Ainsi parvenait-on à éviter des collisions redoutables. Mais la vérité dissimulée à M. Durras n’en existait pas moins pour Isabelle et c’était un souci constant qu’elle portait seule, une extrême pudeur morale l’empêchant de se confier même à ceux qu’elle jugeait dignes de sa confiance. M. Alapetite, qu’elle sentait proche d’elle sur plus d’un point, n’avait jamais été invité à franchir cette barrière de réserve. Aussi, bien qu’il parût aimer Laurent et le comprendre, demeurait-il à l’écart de leur destin, spectateur solitaire d’un nœud humain qui devenait chaque jour plus complexe. De M. Durras, il continuait à ne rien connaître, sinon les dehors d’un homme scientifiquement cultivé, fort brillant causeur, chez lequel il avait dîné. Et, durant ce mois de juin aux soirées transparentes, Isabelle portait seule son quatrième tourment, qui lui venait d’Amédée.

Lorsqu’elle l’avait vu déserter la maison tous les