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LA MAISON DES BORIES

ridicules de vous mettre dans des états pareils ? Votre mère n’est pas perdue, que diable ! Regardez Anne-Marie, elle a un peu plus de bon sens que vous.

Le Corbiau, qui venait de rentrer on ne savait d’où, leva son visage indifférent, un peu plus pâle seulement que d’habitude.

— Il ne faut pas que personne pleure, dit-elle de sa voix nette, sans inflexion. Il n’y a pas à se tourmenter. Isabelle va se faire opérer et tout ira bien. Et si tout n’allait pas tout à fait bien, il n’y aurait pas non plus à se tourmenter. Car ce serait en somme tout ce qu’il y a de plus simple et de plus facile d’arranger les choses pour que tout aille tout à fait bien.

Lise, malgré son chagrin, ne put s’empêcher de rire à cette phrase singulière et Amédée lui-même eut un pâle sourire en se tournant vers sa nièce et pupille :

— Voilà ce que dans toutes les langues on appelle un discours précis…

L’angoisse, plus que la fièvre et la douleur physique, tenait Isabelle éveillée.

N’eût-elle qu’une chance sur mille de laisser sa vie dans cette opération, l’énormité du malheur contenu dans ce millième de chance renversait, dans son esprit, les proportions et l’affolait d’anxiété.

Une seule chose l’eût tranquillisée : emmener les enfants avec elle. Mais comment justifier aux yeux d’Amédée, ce surcroît de dépenses très lourd pour leur budget et cette complication « absurde », comme il dirait certainement ? Car il ne pourrait se douter que si elle tenait tant à les garder près d’elle, c’était pour les empoisonner si elle se sentait mourir.

Elle ne redoutait la mort qu’à cause d’eux. Elle partie, ils étaient perdus. Laurent perdu, dévoré par le chaos, Lise perdue, éteinte à jamais sous un malheur