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TROIS PARMI LES AUTRES

— C’est merveilleux…

Dans le silence de l’après-midi dorée qui ploie comme un hamac sous trois esprits heureux, Suzon se débat de plus en plus faiblement contre Polygone :

— Pourquoi ne voulez-vous pas m’aimer, petite Valois ? Vous ne savez donc pas que vous êtes faite pour l’amour ? Laissez l’amitié à Tony. Elle est froide. Ce n’est pas une femme, c’est un ange de pierre. Mais vous, vous…

Moïse éternue contre le ventre ouvert de sa sauterelle. Antoinette, mystérieusement, pense à Bruno :

— Je n’ai pas besoin de lui, tant cette heure est pleine. Il s’est dissous dans l’air qui tremble, là-bas, sur les champs moissonnés. Il reviendra un jour, un soir, n’importe quand, simplement parce que le bruit d’une feuille que le vent traîne sur le gravier ou la couleur d’une fleur ou l’odeur d’une tige de rosier m’auront jeté cet appel aigu qui veut dire : « Bruno ! Où est Bruno ? »

Annonciade pense :

— Que je suis bien ! je voudrais que quelqu’un fasse de la musique… C’est vrai que j’ai une jolie jambe. Demain, je mettrai ma robe d’organdi jaune.

— Il y a pourtant des femmes qui sont faites pour l’amour, dit tout haut Suzon cherchant à justifier la victoire de l’ombre qui la presse.

— Possible que les femmes soient faites pour l’amour, répond Antoinette rêveusement, mais l’amour n’est sûrement pas fait pour les femmes.

— Pour qui, alors ?

— Je me le demande. Peut-être pour que les dieux s’amusent.