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TROIS PARMI LES AUTRES

monsieur un tel, mon ami. C’était un animal sans nom.

« Je me suis débattue, il m’a lâchée : « Eh bien, qu’est-ce qui t’arrive ? » À peine à terre, j’ai pris un galop éperdu à travers la pièce et lui courait derrière moi, en rond, riant comme un fou de ma folie subite. Un ouragan de terreur et de fureur me poussait à fuir ; j’ouvrais la bouche et ne pouvais plus crier. Ce qu’il y avait de plus épouvantable, c’était ce mélange de contrainte et de liberté : je savais que je pouvais m’arrêter, mais je n’arrivais pas à le vouloir. Oh ! Je me souviens de tout avec une netteté… et comme je me suis laissé tomber, à bout de souffle, accablée par un désespoir colère qui m’a fait sangloter interminablement — et comme, pendant plusieurs jours je ne pouvais plus voir notre ami, qui se désolait : « Mais qu’est-ce qui lui a pris ? Mais que lui ai-je fait ? » Je ne le savais pas moi-même, ce qui m’avait pris. Est-ce curieux !

« Est-ce curieux aussi que la vie me paraisse un cercle où il me faut courir en rond, poursuivie par un bruit de pas… Sont-ils devant ? Sont-ils derrière ? Je n’en sais rien. Je cours et je ne sais pas si c’est à cause de la peur que j’ai d’être rejointe par ces pas qui viennent derrière ou du désir que j’ai de rejoindre, pour n’être plus seule, ces pas qui marchent devant… »

— Eh bien, ma vieille, s’écria Suzon, tu l’as joyeux, le cauchemar !

— Ce n’est pas un cauchemar. C’était jusqu’à présent une sensation vague comme la faim ou la soif quand ça commence… Je viens seulement de m’en rendre compte. Mais tu sais, les mots…