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Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/119

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TROIS PARMI LES AUTRES

Dans ma tête, ce n’est pas aussi précis. N’empêche que ce soir, je me sens délivrée, sortie du cercle…

Antoinette réfléchissait :

— Ce que je me demande, c’est si cette impression date de l’incident, ou si elle était en toi auparavant et que tu l’aies tout d’un coup retrouvée… Ce visage que tu dis n’avoir pas reconnu, si tu l’avais au contraire reconnu ?

— Comment veux-tu ? J’étais toute petite : quatre ou cinq ans peut-être.

— Ça ne veut rien dire. On naît centenaire. C’est pourquoi les femmes sont bien excusables d’oublier leur âge. Qui peut savoir le nôtre, par exemple ? Combien de siècles avons-nous ? Vous n’avez jamais songé que vous en saviez bien long, pour des jeunes filles nées d’hier ?

« Je ne veux pas parler de cette science que l’on cherche à quinze ans dans le grand Larousse. Bon Dieu ! ce serait peu de chose si nous ne connaissions que des mots !

« Mais d’où nous vient cette aptitude à deviner et à comprendre ce que personne ne nous a expliqué ? Instinct ? Mémoire ? Quelle mémoire ?

« Des îlots surgissent de l’océan. Une lente, imperceptible poussée continue les relie les uns aux autres, et voilà un continent sur lequel l’esprit part en reconnaissance. C’est bien cela : en reconnaissance. On croit découvrir et on ne fait que reconnaître.

« Il est vrai que le souvenir parle un langage obscur. On dirait qu’il veut respecter ce qu’on appelle en vieux style l’ignorance virginale. L’ignorance virginale ! Tas de crétins ! Faut-il être