Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
110
TROIS PARMI LES AUTRES

aveugle ! Faut-il n’avoir jamais réfléchi à ce qu’est une femme !

« Quand je vois une mariée tout en tulle et les bonnes gens autour, admirant la primeur sous sa cloche transparente, j’ai envie de leur crier : « Aveugles ! Regardez donc le voile de la mariée. Vous ne voyez pas que c’est un grimoire si chargé de signes et de ratures qu’on n’y trouve plus un coin de blanc ? Bien malin qui saura lire tant de vieilles histoires ?… »

— Le marié, peut-être ? suggéra Suzon avec un petit rire.

— Oh ! le marié… Pauvre homme ! Ne parlons pas de celui-là. D’abord, par profession, il n’y voit que du blanc. Et puis, entre nous, la paléographie, il s’en fiche. Les mariés sont des gens à idée fixe. Comme abrutissement, on ne fait pas mieux.

— Ha ! Ha ! Ha ! Elle dit ça avec une conviction… Combien de fois as-tu donc été mariée ?

— Ah ! voilà… Combien de fois ? Et Annonciade, combien de fois ? Et combien de fois, toi-même ?

— Dommage que je ne m’en souvienne pas.

— Tu t’en souviens, mais tu ne le sais pas.

— Dis donc, Antoinette, serais-tu bouddhiste, théosophe et vouée au Karma ?

— Oh ! ça… Si nous passons par des vies successives, je n’en sais rien. Tandis que je sais bien qu’une grande mémoire nous instruit et nous accable, qui n’est pas nôtre. Un chœur à mille voix chante dans les profondeurs océaniques de notre conscience. Il y a les passionnées, les folles, les sages, les désenchantées, les douloureuses. Nous,