Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
TROIS PARMI LES AUTRES

une saveur de terre et de vieux métal. C’est le goût des pays que la pluie a traversés. Ils ne différent pas du nôtre, à ce qu’il paraît. Qu’est-ce que cela fait ? Le goût du nouveau, c’est bon pour les neurasthéniques. Anoinette n’est pas neurasthénique. — Triste seulement, par instants, jusqu’à la racine de l’âme. Comme tout le monde.

Mais le pessimisme joyeux qui marche toujours à ses côtés est un solide compère. Le voilà qui parle à Dieu, retrouvé au tournant de l’allée avec sa robe de bonté. Pas pour longtemps, sans doute, pas pour longtemps. Mais aujourd’hui Il est là avec sa robe de bonté. On peut sans trembler l’entretenir de questions professionnelles, comme un bon patron qui ne dédaigne pas l’avis de ses ouvriers.

« N’écoutez pas, mon Dieu, ceux qui vous disent que la Terre est trop vieille et que c’est de l’ouvrage mal fait.

« Trop vieille, la Terre ! Cette jeune fille folle de danse, si folle qu’elle ne sent pas son poids et que sa danse en rond épouse indéfiniment l’espace ! Unis comme je les vois, non, ce n’est pas un vieux ménage, Seigneur. Leur allégresse est encore nouveau-née. La Terre a l’odeur de lait, de duvet d’oiseau, de peau en fleur, qu’on respire au creux des berceaux.

« Et c’est de l’ouvrage très bien fait, mon Dieu. Je sais que les avis sont partagés là-dessus, qu’on vous reproche d’y avoir mis trop de larmes — et moi-même… Oui, c’est vrai, un peu trop de larmes, Seigneur. Il ne fallait pas saler la mer à ce point.

« Mais j’admire ici comme vous êtes habile