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TROIS PARMI LES AUTRES

celui-ci, avec l’escargot et les capucines, l’espoir du soleil qui va boire la pluie — et cette main.

« Je vous demanderais bien d’y mettre aussi ma petite Annonciade, mais peut-être que cela ne lui plairait pas, quoiqu’elle m’aime infiniment. Sait-on jamais l’idée que les jeunes filles se font du bonheur éternel ? »

Elle va et vient, comme portée par une vague, le cœur battant d’amour, la tête se moquant du cœur. L’eau qui lustre ses cheveux et lui fait une coiffe luisante de marron d’Inde commence à ruisseler dans son cou. Elle rit. Ses pieds battus de pluie sont deux flammes qui l’entraînent jusqu’au verger. L’herbe est pleine de prunes ouvertes d’où les guêpes ont fui. Antoinette les ramasse et les mange, froides et molles.

Et voici venir Suzon qui, de sa fenêtre, a vu son amie courir dans le verger et vient la rejoindre sous la pluie. Elle a mis des sandales et un imperméable, mais elle est tête nue, comme Antoinette-Les gouttes restent accrochées à ses cheveux sans les pénétrer, comme interdites par le tissu inextricable et l’odeur inconnue de ce buisson doré.

— J’adore ce temps-là, affirme-t-elle en arrivant. Crois-tu qu’Annonciade est désolée parce qu’il pleut ! Moi je n’ai pas pu rester au lit. Mais tu es trempée ! Tu vas prendre froid.

— Pas froid, pas froid du tout, chantonne Antoinette. Je flambe, je danse, je vois le ciel ouvert. Veux-tu des prunes ? On mange de la pluie en même temps.

Et, tout d’un coup :

— Suzon ! Qu’est-ce que tu penses de Dieu ?