— De Dieu ?
Depuis sa dernière crise d’âme, Suzon n’y a plus pensé. Cette question lui produit le même effet que si, à l’examen, on l’interrogeait sur une partie du programme qu’elle aurait oublié d’apprendre. Impossible d’improviser. À bout de ressources, elle dit ce qu’elle pense :
— Comment veux-tu qu’il existe ? Ça se saurait.
Déjà Antoinette se repent d’avoir parlé. Comment a-t-elle pu livrer à cette petite âme étrangère le mieux caché de ses tourments, le cœur amer et plein d’arôme de la rose durement serrée ? La fille tendre, au langage hardi, aux pudeurs sauvages, vivement remet son masque et rit. Et comme Suzon, qui sent qu’elle a gâché une occasion offerte, essaie de forcer la porte refermée, interroge à son tour, Antoinette l’entraîne :
— Viens déjeuner. Après, on se mettra vite à ranger la maison. Il ne faut pas que les Dornain nous trouvent en camp volant.
— C’est vrai ! je n’y pensais plus ! (elle ne pense qu’à cela.) C’est vrai que les gens de Frangy font une descente aujourd’hui. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir leur dire, à ces garçons que nous ne connaissons pas ?
Elle rentre au galop, hèle sa sœur :
— Ann ! Eh ! ma vieille Ann, lève-toi ! On reçoit des visites aujourd’hui, ce n’est pas le moment de flémer !
— Ouaf, ouaf, répond l’enfant Moïse avec enthousiasme.
Et la voix d’Annonciade, molle, enrouée de sommeil, gémit :
— La barbe ! La barbe ! La barbe !