Dans ce triste décor, Suzon vivait une de ces minutes qui marquent le sommet d’une vie. Le sentiment d’être arrivée à ses fins lui procurait la joie de l’astronome qui trouve, dans le mouvement céleste, la vérification de son hypothèse. Contente d’elle-même, assurée des faveurs du destin, caressée par cette idée des possibilités amoureuses qui flatte divinement l’orgueil avant de l’humilier et dont l’imprécision séduit l’esprit à travers les sens, Suzon se livrait à un enchantement qui comblait sans restriction sa petite âme vaine, crédule et rouée.
— Comment va votre sœur ? demanda Robert Gilles. Et Mlle Antoinette ? Elles ne vous ont pas accompagnée ?
— Antoinette n’avait pas envie de sortir. Alors, naturellement, Annonciade est restée.
En réalité, Suzon avait déclaré tout à l’heure d’un air détaché : « Je vais me balader un peu. Vous n’avez pas envie de venir ? » tremblant qu’il ne leur prît fantaisie de l’accompagner. Mais, plongées chacune dans un livre, les deux autres avaient à peine relevé la tête pour la regarder partir.
— Ce sont deux inséparables, n’est-ce pas ?
— À tel point que je me demande comment ma sœur ferait pour vivre si on lui enlevait son Antoinette.
— Vraiment ?
Le ton surpris, un rien de déplaisir dans le regard et dans la voix, fouettent l’inspiration de la petite.
— Oh ! mais, vous ne pouvez pas vous imaginer… Comme je le dis quelquefois à ma sœur :