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TROIS PARMI LES AUTRES

« Écoute, ça n’est plus de l’amitié, c’est de l’amour, ou plutôt ce n’est pas de l’amour, c’est de la rage. » Quand on l’invite à une réunion quelconque, elle n’y va pas si elle n’est pas assurée d’y retrouver Antoinette. Et si on l’y traîne de force, il faut voir la tête qu’elle fait, ne disant mot à personne, — si l’on danse, refusant tous les danseurs…

— Refusant les danseurs ? Elle ne danse pourtant pas avec Antoinette ?

— Non, bien sûr. Mais il faut qu’Antoinette soit là. Sans quoi ma sœur ne regarde même pas les jeunes gens qui viennent lui faire la cour. Naturellement, jolie comme elle est, vous vous imaginez si elle a du succès… Eh bien, ça lui est égal, elle n’y fait pas attention. C’est drôle, n’est-ce pas, pour une jeune fille ?

Elle ouvrait en parlant de grands yeux naïfs et perplexes. Robert Gilles ne répondit pas. Il était difficile de savoir ce que pensait cet homme-là.

— C’est curieux, reprit Suzon, on dirait qu’Antoinette fabrique l’oxygène dont ma sœur a besoin pour vivre. Je comprends un peu leur cas. J’y ai beaucoup réfléchi, vous savez, sans en avoir l’air. Elles m’ont longtemps traitée comme une petite fille qui ne comprend rien, parce que je suis plus jeune qu’elles, mais pendant ce temps-là je les observais. J’aime beaucoup observer. Eh bien, je vous assure, c’est un cas. Annonciade trouve son complément dans Antoinette. Vous me direz que c’est la loi générale de l’amour et de l’amitié. N’est-ce pas, ma sœur est extraordinairement tendre, délicate, sensible, — oh ! mais à un point que vous ne pouvez pas vous figurer…