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Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/200

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TROIS PARMI LES AUTRES

— Ça va, dit-il assez brusquement. On ne la détournera pas, ta mineure… Dors sur tes deux oreilles et ne fais pas la pionne, ce n’est pas ton genre…

La pionne ? déjà l’autre jour, à propos d’une observation insignifiante, Suzon lui a jeté ce mot comme par jeu. Savoir quel travail de sape cette petite entreprend contre elle dans l’esprit de Bertrand ? Savoir à quel point il y résiste ? Aux amoureux, la trahison est si légère !

Et, avec tout cela, où sont passés Annonciade et Robert ?

Ils étaient arrêtés devant une boutique peinte en mauve cyclamen. Derrière la vitrine un étalage de savons, de boîtes de poudre et de flacons de parfum était disposé avec une grossière rouerie qui voulait suggérer l’idée que toutes ces marchandises étaient comestibles et donner aux passants l’envie d’en manger. Sur une des faces, une femme de cire dont le buste opulent semblait une fantaisie retardataire de la nature, bonne à reléguer en province, souriait de ses lèvres dont le carmin déteint avait débordé, ce qui lui faisait deux bouches superposées, une plus pâle que l’autre. Sa perruque de cheveux courts rappelait, en blond, la mer, telle que la représentent les tableaux modernes. Une pancarte attestait que c’était là les effets de l’ondulation Marcel.

Ces détails se gravaient pour la vie dans la mémoire d’Annonciade, tandis qu’elle respirait