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TROIS PARMI LES AUTRES

riait, un peu gênée, tandis que chacun donnait son avis.

— Moi, je trouve que ça ne la change pas du tout, disait André. Par derrière, c’est un peu moins joli que le chignon, voilà tout.

— Moi, je trouve que c’est mieux, dit Bertrand. Avant, elle avait l’air d’une Carmencita pour boîte de cigares. Maintenant, elle a l’air d’une fille à la page.

— Cent fois mieux, approuva Suzon. Bravo, ma vieille. Si tu m’avais écoutée il y a longtemps que ce serait fait.

— Votre avis, Antoinette ? demanda Robert avec un mince sourire.

Antoinette regardait son amie, comme si cette tête charmante eût été celle de Méduse. Elle ne la trouvait pas enlaidie. Ce qui la stupéfiait, ce n’était pas cette histoire de cheveux coupés, c’était ce qu’elle pressentait au delà et qu’elle n’arrivait pas à préciser. Annonciade avec sa nuque rase, ses oreilles nues, n’était pas virilisée. Au contraire sa féminité en était accentuée. Antoinette pensa tout à coup à ces statues blanches que des rapins facétieux barbouillent de peinture noire aux bons endroits. Et tandis qu’elle se demandait ce que venait faire dans son esprit cette image absurde, elle vit le regard amoureux dont Robert couvait ce petit visage transformé par lui. Puis il releva les paupières et ce regard rencontrant celui d’Antoinette se chargea d’une nargue froide. La jeune fille le reçut en plein cœur et crut chanceler. Une réaction enragée la redressa :

— C’est un massacre, dit-elle. Annonciade ressemble maintenant à n’importe quelle poupée