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TROIS PARMI LES AUTRES

dulation des collines retrouvées. À gauche, au premier plan, un étang : sans les hachures fines des roseaux, on aurait pu croire que c’était un morceau du ciel tombé dans les champs, avec toutes ses constellations.

La voiture s’arrêta. Dans la forêt proche, un nocturne soupirait avec une douceur rauque.

— Eh ! bien, disait Bertrand sur un ton de surprise fâchée, voulez-vous être gentille !

Non, Suzon ne voulait pas, ne pouvait pas être gentille. Elle restait défiante, contractée. Sous les lèvres du jeune homme, elle se sentait éloignée de lui, comme à l’abri d’une carapace. Quand l’esprit n’y est pas, la peau d’une femme ne vaut pas mieux que celle d’un crocodile, pauvre Bertrand.

Pour en finir, elle sauta sur la route. Bertrand, d’un bond leste, la rejoignit, la serra de nouveau contre lui, rechignante et près de pleurer.

Mais, quelle petite chipie… Justement, ce soir où il éprouvait cette soif, cette soif qui commençait à le torturer…

Par lassitude, elle se laissa aller un moment contre son épaule, goûtant l’illusion d’un repos. Puis, tout à coup, s’écarta violemment, fit sur la route quelques pas rapides, un peu ivres.

Siki, fou de joie, quêtait le long des buissons. Suzon voyait devant elle sa petite ombre blanche et frénétique. Derrière elle, la voix de Bertrand, humble et durcie :

— Suzanne… Écoutez-moi, Suzanne…

Elle sursauta. Non, ce n’était qu’un cheval qui avait passé sa tête par-dessus la haie et les regardait sans bouger.

— Chut ! souffla-t-elle, vous allez lui faire peur.