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TROIS PARMI LES AUTRES

Elle s’approcha doucement, reconnut une jument au pré avec son poulain. La bête hésitait entre la confiance et la fuite, le corps déjeté, prêt à bondir, mais la tête immobile.

Suzon caressa légèrement les naseaux de velours, piqueté de poils rares, longs et fins comme des graminées. Elle se sentait prise d’une grande tendresse pour cette sœur animale.

— Oh ! Bertrand, vous n’auriez pas du sucre dans vos poches ?

— Du sucre ? répondit une voix de dormeur qu’on éveille en sursaut. Non, je n’ai pas de sucre.

Il s’agissait bien de sucre !

— Oui, ma cocotte, murmurait Suzon, oui, tu l’es belle…

— Laissez donc cette bête ! dit Bertrand avec impatience en la saisissant par le bras.

La jument effrayée fit un écart, se mit à galoper lourdement par le pré, suivie du poulain grêle. Suzon se sentit très seule.

— Vous êtes méchant ! cria-t-elle d’une voix furieuse.

Le jeune homme la tenait aux épaules.

— Enfin, qu’est-ce que vous avez ? Dites ? Dites ? C’est une comédie, hein ? C’est une comédie ?

Il rapprochait son visage du sien par saccades, le souffle entrecoupé. Ses doigts, involontairement crispés, s’accrochaient à la chair tendre des épaules.

Parce qu’il avait été très gâté — par les blanches et par les noires — Bertrand escomptait toujours la complicité de l’instinct femelle, ignorant sa vraie nature et quel animal furieusement défensif