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TROIS PARMI LES AUTRES

sa révolte, mais n’avait-il pas raison de tout ramener à ce nœud vivant qu’ils formaient ? Ah ! Dieu, avec quelle joie elle sentirait sa haine fondre contre ce cœur soudain favorable 1 Elle ne répliqua rien, n’osant même pas s’appuyer davantage sur son bras, tant elle avait peur d’un geste qui signifierait : « Mais non, vous vous êtes trompée, je n’ai pas voulu parler de moi. »

Ils échangeaient maintenant des mots insignifiants, d’un ton caressant et confidentiel. Antoinette continuait à marcher d’un pas réglé sur celui de son compagnon, avec l’impression de tenir dans ses mains un cristal précieux où reposait le bonheur de sa vie.

Puis vint cette seconde où son regard illuminé rencontra le regard d’Annonciade. Elle lut dans les yeux de la petite une douleur et un étonnement indicibles. Cela ne pouvait se traduire que par ce seul mot : « Toi ! toi ! » répété avec mille nuances, et l’ensemble de ces nuances était comme le chant de désespoir de l’âme qui voit crouler tous ses dieux.

À ce regard, Antoinette comprit que leurs querelles passées n’étaient rien, que les trahisons puériles d’Annonciade n’étaient rien. Rien que les oscillations d’un esprit troublé par l’instinct et qui cherche dangereusement son équilibre. Mais cette fois, c’était grave.

Elle commença par s’insurger avec férocité. Est-ce qu’elle était chargée du bonheur d’Annonciade ? Est-ce qu’Annonciade se souciait seulement du sien ? Elle l’avait trahie deux fois, en la sacrifiant à Robert et en dressant Robert contre elle. Si Antoinette prenait sa revanche maintenant, c’était