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TROIS PARMI LES AUTRES

de bonne guerre. D’ailleurs, elle ne faisait que lui éviter de futures catastrophes : cette nature passive serait un jouet entre les mains dures de ce garçon, elle y serait brisée, la pauvre petite. Il fallait à Robert une lutteuse.

Cependant, toutes les raisons que la mauvaise foi peut souffler à l’égoïsme ne parvenaient pas à voiler l’évidence : que le souvenir de ce petit visage lamentable empêcherait à jamais Antoinette d’être heureuse. L’impasse où elle s’était engagée n’avait d’autre issue que la douleur.

« On demande un volontaire. » Dans ces cas-là, il ne faut pas penser à la douceur de vivre ; il faut fouetter en soi-même toutes les puissances de défi. Antoinette fuit de toutes ses forces le chemin de mollesse où elle marchait tout à l’heure avec une légèreté divine. Elle s’exalte à cette idée qu’elle est la plus brave des deux et qu’elle saura mieux souffrir, et que c’est aussi une belle satisfaction de cracher à la figure du vieux général. Au moins, Robert verra qu’elle ne s’est pas vantée. Mais ne pensons plus à Robert.

Elle s’écarte, prend un air distrait, ne répond plus que par monosyllabes. Cette comédie n’est pas dépourvue d’un certain plaisir torturant. Au bout d’un moment, elle annonce qu’elle se sent fatiguée et rentre à la maison. Elle attendra les autres pour le thé : « Continuez sans moi… » À l’autre, maintenant, de jouer sa chance.

Robert, déçu, regarde s’éloigner son amazone. Il aime mieux ne pas trop réfléchir à ce qu’il éprouve. Il sait seulement qu’il vient de vivre avec intensité pendant ces courts instants. Mais Annonciade est bien jolie…