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II


Lorsque sa sœur lui transmit l’invitation d’Antoinette, Suzon répondit que cette retraite bucolique se passerait très bien de sa présence, qu’elle ne voulait pas troubler leurs confidences, chantonna : « Quand on est trois, ça n’est pas la mêm’ chose ! » et pour finir pirouetta sur ses talons en éclatant de rire et s’en fut. La fréquentation du Dalloz ne l’avait pas débarrassée encore de ses manières de lycéenne. Elle avait toujours l’air d’apercevoir dans les choses les plus simples une légion de sous-entendus follement drôles.

— Quelle imbécile, conclut Annonciade en haussant les épaules, ce qui indigna ses parents. Elle ne pouvait savoir que Suzon gardait rancune à Antoinette de l’échec d’une tentative de séduction.

Quand Suzon avait douze ans et Annonciade quatorze, la petite fille enviait férocement à sa sœur l’amitié d’une « grande ». Elle inventait des prétextes pour tourner autour des deux amies, prenant des poses intéressantes et poussant des soupirs de femme triste du fond de sa poitrine, hélas, plate. Elle espérait qu’Antoinette finirait par l’interroger sur les raisons de sa mélancolie. Mais la grande fille l’embrassait, l’éloignait doucement : « Va jouer, mon rat, » et lui donnait