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TROIS PARMI LES AUTRES

Mais rien ne semble vivre dans cette bourgade qui ressemble à un faubourg propre, alignement de maisons trop blanches aux toits trop rouges, derrière des jardinets plantés de fleurs raides : dahlias, roses trémières et bordures de pensées autour des massifs, rondes et serrées comme des couronnes mortuaires. Les gens parlent avec un accent lourd, glaiseux, qui colle à l’oreille. Antoinette elle-même constate avec mélancolie que ce pays est encore plus laid qu’autrefois.

Annonciade, pleine de bienveillance et disposée à aimer tout ce qu’elle va découvrir, proteste :

— Ce n’est pas si laid que ça. Il y a beaucoup de ciel.

— Oui, l’horizon est beau, dit Antoinette avec reconnaissance. La tristesse de cette petite ville vient de ce qu’elle est bâtie sur un sol destiné à être cuit de toute l’éternité. Je ne blague pas. Les Romains, ici, faisaient des pots pour passer le temps. Aujourd’hui, on y fait des briques. Les rues sont pleines d’une poussière cuite que la pluie change en pâte. Vraiment, quand on voit l’aspect propre, étiqueté, définitif de ces maisons, on comprend bien qu’on se trouve dans un columbarium. Filons vers notre campagne si nous ne voulons pas être crématurées. Je vais tâcher de trouver une guimbarde, attendez-moi ici.

Annonciade regarde s’éloigner son amie. Elle pressent une infinité de choses ténues qu’elle résume en soupirant :

— Antoinette s’agite beaucoup. J’ai peur qu’elle ait le cafard.

— Elle n’est pas toute seule, réplique Suzon