Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
TROIS PARMI LES AUTRES

fenêtre, au milieu de la façade, et dont un rosier grimpant cache la rampe de fer rouillé.

— Nous sommes chez nous, dit Antoinette un peu pâle.

Annonciade et Suzon descendent de voiture avec enthousiasme. Le décor les ravit par son air d’abandon. Cette cour verte, ce grand logis silencieux, la lucarne béante des greniers, le toit couleur de bure, de couvent, d’automne, leur suggèrent l’impression qu’elles arrivent dans une maison de campagne enchantée. Le filet de fumée bleue qui s’échappait d’une des cheminées ajoutait une certitude réconfortante à la volupté du mystère : il y avait du feu, on pourrait dîner.

La vieille gardienne qui s’approche sans hâte, avec ses yeux gris luisants de ruse et ses mèches crasseuses sous son bonnet à quartiers, est la Carabosse de ce domaine — une Carabosse qui porte en broche à son corsage la photographie d’un militaire.

— Vous v’ià donc, Mam’zelle, dit-elle à Antoinette, sans trop de bonne grâce. Vous êtes point trop changée, depuis le temps, sauf que vous avez encore un p’tiot peu raccourci vos jupes. Alors, comme ça, vous nous amenez du monde au château ?

— Vous voyez, mère Garrottin. Et vous allez bien ? Vous êtes superbe.

Un éclat féroce flambe dans les prunelles de la vieille :

— Oh ! mouai, le jour qu’on m’enterrera, l’est pas encore sonné, marchez !

— Et Garrottin va bien, lui aussi ? Où donc est-il ? Je ne le vois pas…