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TROIS PARMI LES AUTRES

— Oh ! l’est bien par là, c’te vieux pouaison… J’l’ai envoyé au potager qu’ri des porreaux pour ma soupe. Pour la vot’, ma fouai, vous vous débrouillerez, j’connais point vos goûts. J’ai seulement éclairé le fourneau dans la grande cuisine.

Elle ajoute en épiant les mines des jeunes demoiselles :

— C’est comme pour votre ménage, comment que vous allez faire ? Y a point personne dans le village qu’ait le temps de s’en occuper, avec les travaux des champs. Mouai, j’vous aurais bien donné un p’tiot frotton d’torchon ou un p’tiot coup de balai pour vous faire plaisir, mais v’là que mes douleurs m’ont prise que je n’peux pas seulement tenir un plumeau…

Aucun enchantement ne résiste à la perspective de laver la vaisselle. Annonciade et Suzon regardent autour d’elles avec consternation : elles voient une vieille maison qui sue la tristesse, une cour semblable à un parc de lapins encroûté de gravier, et une vieille paysanne crasseuse qui les guette avec des yeux d’araignée.

Antoinette met fin, d’un ton bref, au bavardage de la vieille :

— C’est bien, mère Garrottin, nous préférons nous servir nous-mêmes. Donnez-moi les clefs, je vous prie, et allez chercher Garrottin. Je le verrai tout à l’heure.

Les trois amies montent lentement les degrés du perron. Antoinette sent qu’elle est dans son tort : elle a dérangé un ordre établi depuis sept ans, les serviteurs passés maîtres, les vacances du fils Garrottin, le militaire du médaillon, qui,