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TROIS PARMI LES AUTRES

pressés, mêlés, avides, malingres, brandissant leurs branches en hauteur, faute de place et d’air : une émeute d’arbres adolescents contenue par le cordon sévère des buis.

Les feuilles accumulées au cours des saisons forment là-dessous une litière molle et spongieuse, parcourue d’irisations métalliques, plus bleues que rousses et plus violettes que bleues. Même par ce chaud crépuscule, il s’en dégage une haleine de crypte.

La croissance de ces baliveaux impatients de vivre fait mesurer à Antoinette le temps écoulé, les années de solitude et d’abandon.

— Comment ai-je pu si longtemps ?… Comment ai-je pu ?

Elle s’étonne aussi de trouver l’allée si courte. Sa mémoire lui représentait une fuite interminable de gravier sous des reflets verts. Où donc sont-ils, cet amenuisement lointain, cette sublimation d’une allée de parc dans une vapeur verte et dorée ?

Pourtant, c’est bien là. Elle reconnaît le gros lilas qui marque la bifurcation vers le potager. C’est bien là que, par des soirs pareils à celui-ci, une Antoinette enfiévrée d’infini attendait Dieu. Elle l’attendait : Il allait venir au vol de Ses pieds nus, Ses pieds ineffables qui avaient marché sur la mer. Hélas ! Dieu infidèle, fantôme enfui… La dernière hostie gît au fond de l’âme d’Antoinette, aussi froide qu’un soleil mort.

La bifurcation conduit par le sentier de gauche au verger doucement incliné suivant la pente du coteau. Un parfum sucré, plus lourd que l’air, annonce que les prunes sont mûres. Mais la plu-