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TROIS PARMI LES AUTRES

tous les étés, amenait de Dijon sa petite famille au « château » des parents où l’on vivait bien. Ainsi, lorsqu’on met le pied dans un logis abandonné, un régiment de rats vous file entre les jambes et pour un peu on leur présenterait des excuses.

Annonciade essaie de faire face à une réalité qui s’annonce grise et Suzon court en vain après le charme enfui. Où donc, la maison enchantée aux tables servies par des mains invisibles ? « Il n’y a même pas l’électricité, » se dit-elle amèrement.

Les voilà dans les demi-ténèbres où luit le vol argenté des mites. Antoinette ouvre les volets, tous les volets. De grandes pièces surgissent, longues et luisantes comme des parloirs de couvents avec leurs fenêtres réfugiées au fin bout. La lumière affaiblie du crépuscule laisse traîner partout des loques d’ombre : mais lorsque les fenêtres sont ouvertes, qui donnent sur le parc et le verger, une verte lueur diffuse rayonne doucement dans la maison, comme si l’on était plongé au creux d’une vague. Le soleil disparu, l’herbe et les arbres concentrent leur couleur avant que la nuit ne l’absorbe. Leur puissante odeur humide saisit Antoinette au palais.

Par trois marches douces, on descend à l’allée qui s’élargit devant un banc de pierre, sous le marronnier séculaire, beau comme une dynastie avec l’éploiement protecteur de ses branches. Plus loin, elle longe un anarchique fouillis d’arbres et d’arbustes : sous les grands hêtres qui furent les premiers occupants de la futaie, fusains et troènes, noisetiers et viornes ont poussé sans contrôle,