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TROIS PARMI LES AUTRES

quadrillage sombre des haies. Dans un coin, un lit démonté rappelle qu’il fut un temps où la maison était trop petite pour ses occupants, au lieu de sentir rouler dans ses flancs trois jeunes filles qui s’enivrent de leur solitude en l’appelant liberté.

Antoinette offrit à ses amies d’occuper à elles deux la galerie d’Apollon. Mais Suzanne avait déjà jeté son dévolu sur une des deux chambres qui donnaient sur la salle à manger : la vue du parc lui plaisait — et davantage encore la petite porte à loquet, qu’elle appelait en elle-même la porte dérobée. Elle entendait bien occuper seule cette chambre qui lui parlait d’aventures.

— À la belle Annonciade, dit-elle, les honneurs de la chambre d’honneur, Moi, je n’en suis pas digne.

Annonciade se taisait, la gorge sèche. Elle mourait de peur par anticipation. Le cœur lui manquait à imaginer les heures qui allaient suivre, le silence peuplé de craquements, la promenade silencieuse du clair de lune autour de la maison et l’odeur des draps sortis de l’armoire qui sentaient le froid, l’humidité, le linceul… Cependant l’amour-propre l’empêchait de laisser voir son angoisse, devant Suzon surtout. Elle répondit qu’elle serait très bien dans la galerie d’Apollon. Mais Antoinette, lui trouvant la voix altérée et voyant les regards craintifs qu’elle jetait aux ombres projetées par les meubles sur le parquet, se rappela soudain ses terreurs d’enfant et lui proposa, pour ce soir, de partager son lit — afin de simplifier l’installation, dit-elle. Demain, on verrait.