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TROIS PARMI LES AUTRES

crainte, réclame les fées, le cinéma, la volupté, la prière.

Elles sortirent toutes les trois pour aller chercher le lait à la ferme. Dans le village, Antoinette échangeait des bonjours, serrait des mains, répondait aux exclamations prévues. On regardait les deux sœurs avec une curiosité un peu ironique à cause de leur beauté, de leurs robes claires, de leurs petits souliers.

Comme elles suivaient la route caillouteuse, la pétarade et le chant montant d’un moteur qui gravit une côte vinrent frapper Suzon au cœur. Si c’était l’auto bleue ? Pendant quelques secondes, elle en fut certaine, tant l’éventualité lui paraissait naturelle. Elle disposait du hasard comme Aladin du génie de la lampe. Les échecs n’entamaient pas sa confiance : quand le génie n’obéissait pas à ses ordres, c’est qu’il était occupé ailleurs — partie remise.

Une forte motocyclette les dépassa, montée par un grand diable vêtu d’un imperméable, botté de cuir, dont on voyait seulement la barbe noire et deux yeux bleus très clairs sous un petit chapeau de toile beige, semblable à la coiffure des chasseurs de canards.

La motocyclette prit le virage de gauche qui montait vers l’église, stoppa devant la porte de la cure. Un tumulte d’aboiements et de joyeux sanglots s’éleva de l’autre côté du mur.

— La paix ! dit le motocycliste d’une voix puissante, avec l’accent du terroir bourguignon.

Il s’était baissé, cueillait sous son imperméable trois ou quatre pinces de blanchisseuse. Le bas d’une soutane retomba, recouvrit les bottes. Les