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TROIS PARMI LES AUTRES

traite, il leur faudra lutter contre les forces troubles ?… Une lassitude qui vient de loin altère sa voix lorsqu’elle supplie :

— Ne vous disputez pas. Nous ne sommes pas ici pour ça. Ou alors, zut, moi je reprends le train… D’ailleurs c’est de ma faute. Suzon, il ne faut pas m’en vouloir. J’oublie toujours que tu es plus jeune que nous. À notre âge, deux ou trois ans, ça compte. On ne voit plus les choses de la même façon, tu comprends ?

Elle regarde Suzon avec une intensité désespérée, comme si elle voulait l’exorciser de la puissance dangereuse qui a modelé la pâte blanche de ce visage où flambe une bouche couleur de géranium, électrisé le buisson d’or de cette chevelure si drue. Les yeux glissants se laissent prendre une seconde et fuient. Un sourire humble demande pardon avec l’air des petites filles qui sont heureuses d’être grondées :

— C’est moi qui suis idiote. Tu as raison. Je suis une gosse mal élevée. Et toi, tu es tellement plus intelligente que moi, tellement supérieure… Chaque fois que je ferai quelque chose qui ne sera pas de ton goût, il faudra me reprendre, tu veux bien ?

— (Ça ne va pas du tout, pense Antoinette, désolée. Qu’est-ce que c’est que ces airs rampants, maintenant ?)

Là-dessus, Annonciade pousse un cri, se précipite sur Moïse de Tracy, le saisit par la peau du cou et l’emporte, tout dégoulinant et tremblotant et qui contemple son propre désastre avec des yeux magnifiquement tristes, à la Charlot. Et le trio s’esclaffe, rasséréné.