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TROIS PARMI LES AUTRES

Annonciade regardait tour à tour la corbeille où le petit chien était couché en rond, une virgule de queue débordant de l’osier et la veilleuse qui brûlait silencieusement à côté de son lit. Elle n’avait plus peur du tout. Grâce à ces deux talismans, les maléfices de la nuit étaient conjurés. Elle était si heureuse qu’elle ne voulait pas s’endormir.

Une fois qu’on eut installé Moïse pour la nuit, Antoinette avait apporté cette veilleuse retrouvée au fond d’un placard en disant d’un ton blagueur : « Voilà pour la jeune mère. »

— C’est curieux, pense Annonciade, on dirait qu’elle devine tout. Il n’y en a pas deux comme elle. Je ne la quitterai jamais. Mais si je me marie… Non, c’est vrai, je ne veux pas me marier. Ah ! non, merci…

« Tout de même, si je me mariais… Elle habiterait avec nous. Mais 1’ « autre » ne voudrait pas. Un homme n’en veut que pour lui, naturellement. Et puis, au fond, ça ne serait pas possible… Quoique au fond… Je ne serai jamais jalouse d’Antoinette, je n’en aurais même pas l’idée. Elle est si nette, si loyale. Je ne peux pas l’imaginer faisant des avances à un homme. D’ailleurs, l’amour la dégoûte. Comme moi… Si Moïse dérange sa couverture la nuit, il aura froid. Je n’aurais pas dû ouvrir la fenêtre. Est-ce qu’il faut la fermer ? Il est bien couvert… Tant pis, j’ai la flème. On est bien dans un lit. Je me demande qui a inventé les lits. Dire que je mourrai un jour, dans un lit…