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TROIS PARMI LES AUTRES

Ou encore une chanson d’un auteur inconnu qui racontait l’histoire d’un voyageur dévoré par les loups, une nuit d’hiver. Le curé scandait de sa plus belle basse le refrain de l’aubergiste :

Ah ! monsieur, prenez garde aux loups,
Prenez garde aux loups,
Prenez garde aux loups,
Ne partez pas, restez chez nous !
Prenez garde aux loups !

Suzon ne se lassait pas de lui redemander ce « prenez garde aux loups ». Le plaisir qu’elle prenait à l’entendre venait de l’analogie du refrain avec les vieilles chansôns malignes où l’on met en garde la bergère contre le loup symbolique.

Parfois, le chanteur en soutane jetait à ses visiteuses un bref regard amusé et vite reportait les yeux sur sa partition. Il sentait ce que la situation avait de piquant mais faisait mine de l’ignorer. La compagnie de ces trois filles charmantes réjouissait sa virilité rude et saine, point du tout mortifiée par la prêtrise. Mais surtout, ce que leur présence chez lui pouvait avoir d’insolite lui plaisait comme un trait de bravoure. C’était, dans l’ordre moral, une détente comparable à celle que lui apportaient, dans l’ordre physique, ses courses à motocyclette et ses chasses forcenées en compagnie de Tosca. Tout cela jeté en pâture comme un défi à la réprobation sournoise des gens de la campagne qu’effarouchait ce curé surgi des camps et chanteur d’opéra.

Peu à peu il s’établit entre lui et les jeunes filles une complicité gamine. Tous les quatre étaient