Taxil pensait peut-être qu’il ferait rire, au moins les non-catholiques. Il ne voit rien venir, qu’une immense vague de dégoût. Non, ce n’est pas drôle d’avoir à ce point dépassé Tartufe dans la tromperie, la duperie, l’hypocrisie. Non, aucun parti n’est fier de cet exploit, qui révolte l’humanité même.
Aussi, son auteur n’est-il pour tout le monde que « l’immonde Taxil », selon le mot que jette Gaston Méry dans La Libre Parole. Les journaux anticléricaux se gardent bien de le soutenir, L’Intransigeant, alors socialiste et anticlérical, écrit : « Si Monsieur Jogand espère que les libres-penseurs et les démocrates lui ouvriront les bras comme l’ont fait les cléricaux, s’il compte sur la publicité de la presse républicaine pour les besoins de sa réclame, il se trompe. Ses actes comme sa personne nous inspirent un suprême dédain. »
La volonté de la Maçonnerie lui est signifiée par Lucien-Victor Meunier dans Le Rappel : « Les libres-penseurs assistent indifférents à la dernière cabriole de l’homme qui a écrit de la même plume déshonorée les crimes des papes et les mystères de la maçonnerie. Aucune Loge ne recueillera Taxil. »
Du côté catholique, les taxiliens devaient s’incliner. Le chanoine Mustel dit que l’enfer lui-même sera dégoûté de recevoir Taxil. À un rédacteur du Matin, l’un des auxiliaires inconscients de la comédie, Clarin de la Rive, déclare qu’il a été trompé ; il explique que Diana répondait à des lettres recommandées, ce qui supposait qu’elles avaient été reçues par une personne pouvant signer de ce nom… Taxil pleurait en lui affirmant son existence. Diana lui envoyait son portrait, avec des certificats d’ecclésiastiques… Ces certificats étaient-ils vrais ou fabriqués ?
Comme après Hacks on s’était raccroché à Taxil, il y eut des naïfs pour croire quand même à Diana Vaughan, Au moins un : l’abbé de la Tour de Noé, qui publia une véhémente brochure, La vérité sur Miss Diana la Sainte et Taxil-le-Tartufe.
L’abbé de la Tour de Noé déduit en forme les nombreux motifs qu’il conserve de croire à l’existence de Diana Vaughan, motifs qui ne sont probants que pour lui. Il soupçonne Taxil d’avoir fait disparaître la vierge luciférienne : « Ses irréconciliables ennemis l’ont supprimée et envoyée en paradis rejoindre sa bienheureuse patronne, Jeanne d’Arc. Jeanne partit pour les cieux du milieu des lueurs du bûcher, Diana s’élance du sein des ténèbres épaisses d’un obscur cachot. »
Il est de fait que, dans la logique de son roman, Taxil au lieu d’avouer son infamie, aurait pu raconter que Diana avait été enlevée par les francs-maçons et qu’on l’avait fait disparaître. Une telle péripétie risquait cependant d’attirer l’attention de la justice au moment où la mystification craquait de toutes parts.
XXIII. — Pour reconnaître les tromperies
Après sa palinodie infâme, Taxil ne peut naturellement plus se faire prendre au sérieux d’aucun parti ni d’aucun public. Ses innombrables lecteurs de jadis ne se retrouveront plus.
Il réédite en 1900 un ancien roman pornographique, chez un éditeur spécialisé dans ce bas commerce ; là, Taxil réimprime aussi ses ignobles caricatures de la Bible et de l’Évangile, ses livres secrets des confesseurs. Pitoyable exploitation du scandale et de ses anciennes horreurs, qui ne va pas loin.
Il se fait son propre éditeur pour réimprimer en 1901 ses Amours secrètes de Pie IX, dont il a déclaré lui-même la fausseté. Croit-il le public, non seulement idiot, mais canaille ? En 1903, il essaie d’exploiter son aventure dans les milieux catholiques en publiant des Notes et croquis du pays noir ; Nos bons Jésuites, étude vécue de mœurs cléricales et contemporaines. Il a mis six ans pour préparer cette flaque de boue où l’enchaînement des mensonges sombre dans le pire ennui. Il est trop méprisé pour qu’on le lise.
Léo Taxil est bien fini. Sa carrière se continue sous des pseudonymes dans la fabrication de piètre littérature industrielle. Sans doute en a-t-il besoin pour gagner son pain. Il publie en 1902 sous le nom de Prosper Manin Le Journal d’un valet de chambre, graveleuse réplique à un roman de Mirbeau ; en 1904, sous le même nom, Marchands de chair humaine ; de tels volumes ne relèvent pas de la librairie, mais de l’excitation à la débauche.
Il essaie d’une industrie différente, et la plume qui signait Diana Vaughan signe Jeanne Savarin un ouvrage populaire : La bonne cuisine dans la famille, qui eut deux éditions, en 1904 et 1906. Les familles étaient bien servies !
Mais il y a mieux, Taxil, avec une atonie parfaite du sens de l’humour, publie sous le même pseudonyme de Jeanne Savarin l’ouvrage suivant, dont il faut donner le titre en entier : L’art de bien acheter, guide de la ménagère mise en garde contre les fraudes de l’alimentation, Moyens pratiques de reconnaître toutes les tromperies, in-16, 1904.
Ce bouquin ne coûtait que 75 centimes, Taxil donnant le moyen pratique de reconnaître toutes les tromperies, n’est-ce pas inimaginable — ces tromperies n’eussent-elles rien de commun avec les siennes ? Une telle aventure ne pouvait se terminer que par là.
Taxil s’était retiré à Sceaux, où il mourut le 29 mars 1907 ; comme il avait vécu ? Qui sait ? À force de se tromper lui-même et les autres, put-il se reconnaître ?