Page:Ratichaux, Les impostures de Léo Taxil, Sept, 1934.djvu/12

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Si les Allemands ne s’en étaient chargés, Hacks eût été démasqué quand même. Il venait d’être percé à jour par Gaston Mery, à propos de « la voyante de la rue Paradis », Mlle Couedon. On a oublié aujourd’hui cette « prophétesse » qui fut célèbre au moins un an par ses prédictions uniformément rimées :

Ces vérités
qui vous sont révélées,
il faut les écouter
ou vous serez fauché.

Toujours sur ce ton-là, Gaston Mery avait été le lanceur de Mlle Couedon et s’en faisait le cornac. Comme elle présentait certains phénomènes, une commission de recherches psychiques constituée sous la présidence du chanoine Brettes se chargea d’examiner la voyante. Hacks en faisait partie à titre de médecin. Il conclut à la supercherie, mais révéla une singulière conscience.

Homme aux trente-six métiers, il était devenu reporter à L’Illustration ; son journal lui demanda une photo de Mlle Couedon, chose difficile, car la prophétesse refusait de laisser publier ses traits. Hacks déclara au chanoine Brettes qu’une photo lui était indispensable pour son rapport de la commission de recherches psychiques ; quand il l’eut, il l’alla tout bonnement porter à son journal. On douterait d’une pareille histoire, si l’invergogneux Hacks ne l’avait racontée lui-même.

On pense bien qu’un pareil procédé attira l’attention de Gaston Mery sur ce singulier expert. Ce fut l’origine d’une brochure : La Vérité sur Diana Vaughan, après laquelle toute la comédie devait éclater au grand jour. Hacks, particulièrement, n’avait plus qu’à plier bagages.

Balayons : ce bizarre médecin, en quittant L’Illustration, se fit photographe ; puis il acheta un restaurant populaire, boulevard Montmartre ; un tel gargotier devait offrir de bien vilaine cuisine. Aux dernières nouvelles que l’on a de lui, il s’était associé avec un certain Dr Macaura, inventeur d’un traitement aussi coûteux qu’inutile à l’aide de prétendues ceintures électriques. Macaura fit de nombreuses dupes, qui le menèrent en police correctionnelle, et Hacks avec lui. L’ex-Dr Bataille encaissa pour sa part six mois de prison. C’était en mai 1914, et M. Jean Bernard nous en a laissé trace dans sa Vie de Paris.

XXI. — E finita la commedia

Le 14 novembre 1896, le R. P. Portalie publie, dans les Études, un article précis, clair, irréfutable, et qui dit tout dès le titre : Le Congrès antimaçonnique de Trente et la fin d’une mystification.

Après cet article, la cause est entendue. Il n’y a plus pour défendre Taxil que les obstinés, ceux qui se sont engagés trop profondément dans l’affaire, ceux qui n’y virent plus clair à force d’avoir trop regardé. Quelques-uns aussi, auxquels tout ce merveilleux paraissait une confirmation de la foi ; on a pu leur reprocher leur exaltation, comme au contraire à quelques contradicteurs allemands un hypernaturalisme.

L’erreur est si tenace que le Dr. Bataille lui-même, après son cynique aveu, continue de recevoir des lettres confiantes : « Je ne comprends rien à ce qui se passe, aux propos qu’on vous prête, lui écrit un curé ; hier même, j’ai reçu une lettre de miss Diana Vaughan, qui m’écrit d’aller vous voir et que je me trouverai bien de vos soins. » Comment douter de l’existence d’une miss Diana qui recrute de la clientèle à son médecin !

Pour d’autres, « on renonce à Hacks, écrit Nemours-Godré, mais on se raccroche à Taxil ». En vain, un article de l’Éclair annonce que Taxil pourrait bien, pour se tirer d’un embarras croissant, avouer comme Hacks, et dire qui est téellément Diana : « La pseudo Diana Vaughan nous est connue, dit l’auteur de l’article. Elle est de l’entourage de Léo Taxil. » — C’est Mme Jogand, dit-on ailleurs. — Non, reprend L’Éclair, Mme Jogand s’est tenue à l’écart des frasques de son mari. Bref, on nous fait comprendre qu’il s’agit tout bonnement d’une dactylographe.

Ainsi, malgré qu’on en ait, le voile continue de se déchirer. Le commandeur Lautier qui, même après le Congrès de Trente, jurait de l’existence de miss Diana, se ravise et prend une attitude plus prudente. Domenico Margiotta, sans qu’on sache si ses démêlés avec la luciférienne sont réels ou de comédie, raconte que la Diana Vaughan convertie est un mythe, que la vraie est une hystérique insatiable. À quoi miss Diana répond que Margiotta est demeuré fidèle à la maçonnerie, et Taxil que le même Margiotta a essayé de faire arrêter Miss Vaughan par la police. Convulsions. Le fluide s’échappe. La mystification est malade.

Le 22 janvier 1897, une commission romaine déclare que l’existence de Diana Vaughan n’est pas démontrée et condamne les artifices employés. Comment Taxil, qui prétendait avoir l’appui des autorités religieuses contre ceux qui l’attaquaient, pourrait-il survivre à cette décision ?

Il va essayer de tirer un dernier bénéfice de cette lamentable farce, dans laquelle il n’a peut-être été qu’un pantin dont on tire les ficelles, sinon à quelque moment une victime. Il déclare que, puisque l’on nie de cette manière l’existence de Diana Vaughan, la luciférienne convertie va braver tous les périls qui menacent sa vie et se manifester.

Les Mémoires d’une ex-palladiste annoncent, dans leur numéro du 25 février 1897, que Diana Vaughan paraîtra en public à la Salle de la Société de Géographie le lundi de Pâques 19 avril. La séance sera réservée à la presse ; des rédacteurs de tous les journaux d’Europe et d’Amérique seront convoqués. Rien ne sera épargné pour que la vérité se manifeste. Aux dangers que va courir leur chère Miss Diana, les Taxiliens tremblent. Les autres prévoient la fin de la comédie, encore que certains détails leur apparaissent, ou comme troublants, ou comme d’un raffinement bien inutile dans la farce.

En effet, Diana Vaughan annonce en même temps qu’après cette réunion à Paris, elle entreprendra un vaste voyage de propagande en province et à l’étranger. Chose extraordinaire, le n°20 des Mémoires d’une ex-palladiste publie le programme détaillé, jour par jour, de cette fort problématique tournée, qui devait durer du 19 avril au 17 août. Ce programme prévoit tout, jusqu’au moindre détail. Le 20 avril, par exemple, Diana sera à Avranches : « Réception d’ecclésiastiques seuls. » Le trajet comporte des pèlerinages au Mont Saint Michel, à la Salelte, à Fourvières, etc… » En cas de fatigue survenant pendant ces voyages, dit une note, telle conférence pourra être supprimée, mais l’itinéraire ne sera pas modifié pour cela. » Miss Diana fait des confidences : « Je ne resterai en Italie que vingt-deux jours. Mon voyage de rentrée en France ne sera pas public, en compagnie d’une famille amie à qui j’ai promis de faire avec elle le pèlerinage de Lourdes. » Ce Français douteux peut-il passer pour de l’humour ?

« J’espère, conclut Diana pieusement, que le bon Dieu entretiendra mes forces pendant mes voyages. Dans ce but, je demande à tous mes amis leurs ferventes prières. »

Rien n’est épargné pour faire croire aux apparences. Le 7 mars 1897, le chanoine Mustel reçoit de Diana Vaughan une étonnante lettre qui commence par cette invocation : « Vive Jésus, roi des rois. » La prétendue convertie dénonce des pièges qu’on lui tendrait et notamment celui d’une fausse Diana Vaughan que l’on voudrait lui opposer et dont elle entend vaincre l’imposture ; la lettre se termine par cette formule pieuse : « Me recommandant plus que jamais à vos prières, je me dis, Monsieur le Chanoine, votre reconnaissante et à jamais dévouée en Jésus, Marie, Joseph et Jeanne. »

XXII. — Une réunion publique et contradictoire

Donc, à la salle de Géographie, boulevard Saint-Germain, le lundi de la Pentecôte 1897, taxiliens et antitaxiliens confrontaient leurs impatiences.

Toute la presse était représentée, de France et d’ailleurs. Un Canadien, fanatique de Miss Diana, était venu tout exprès à Paris pour cette réunion. De grands espoirs flottaient, pour bien peu de temps.

En effet, sur l’estrade, nous dit un des reporters qui rendirent compte de cette mémorable séance, sur l’estrade on pouvait voir Diana Vaughan, la vraie, c’est-à-dire l’auteur de ses Mémoires, Diana Vaughan en costume masculin, un homme chauve, un peu gras, au menton duquel pendait une barbe longue presque blanche. On lui eût donné soixante-cinq ans, il n’en avait que quarante-trois : Léo Taxil.

L’homme se mit tout à trac à raconter qu’il avait mystifié tout le monde. À l’entendre, il était farceur de naissance et de profession. À dix-neuf ans, il avait fait croire à la Ville de Marseille qu’une bande de requins dévastait la rade ; d’où une expédition nécessairement infructueuse. Plus tard, à Genève, il avait simulé la découverte d’une ville préhistorique au fond du lac, etc…

Après une encyclique du Pape sur la Maçonnerie en 1884, il avait résolu de montrer le diable aux catholiques. (On remarquera que Hacks s’était servi du même argument, à propos d’une autre encyclique. Ces messieurs les lisent donc avec tant d’attention ? Et pourquoi Taxil aurait-il voulu défendre la maçonnerie, qui l’avait expulsé ?)

L’orateur raconte audacieusement que, dans sa comédie de conversion, il avait avoué à son confesseur, après trois jours d’hésitations, un assassinat imaginaire, basé sur un fait divers du temps. C’était pour que les prêtres fussent convaincus qu’ils me tenaient bien, explique Taxil.

En réalité, si l’on accepte l’hypothèse d’une comédie, on supposera plutôt que l’imposteur voulait provoquer une violation du secret de la confession : Taxil dénoncé pour un crime n’aurait pas eu de peine à s’en disculper et aurait à son tour dénoncé le confesseur : triomphe anticlérical. A-t-il vraiment rêvé de cette propagande par le fait ? Si l’on pouvait être sûr qu’il s’est en effet accusé d’un assassinat imaginaire en confession, il serait prouvé qu’il ne fut à aucun moment sincère. Là-dessus, nous n’aurons jamais que son témoignage, qui vaut beaucoup moins que rien.

Taxil continue son discours en disant qu’après s’être vanté de cet assassinat, il va commettre un véritable infanticide, en tuant le palladisme qu’il a inventé. Non : Taxil n’a inventé que les broderies.

Il se vante d’avoir parfaitement trompé le Pape, les évêques, les religieux, les fidèles ; il se moque des bénédictions qu’il a reçues, d’un triduum qu’il demanda au Sacré-Cœur en action de grâces pour la conversion de Diana, des carmélites qui envoyèrent à Diana un tableau représentant Sainte Catherine consolant Jeanne d’Arc dans sa prison.

Devant ces cyniques déclarations, l’assistance commence à gronder. Il n’y a plus ni taxiliens ni antitaxiliens, de catholiques ni d’anticléricaux : c’est l’honnêteté foncière de tout homme qui se révolte et s’indigne.

L’invraisemblable Taxil n’y prend garde : il raconte à présent que la prétendue Diana Vaughan n’est qu’une dactylographe, employée d’une maison américaine de machines à écrire. Il l’a connue en faisant faire des copies dactylographiées, et il l’a décidée à jouer, moyennant 150 francs par mois, le rôle de correspondante. On l’indemnisait spécialement quand elle était obligée à des frais supplémentaires, comme le séjour à l’hôtel Mirabeau. Par l’intermédiaire d’une agence, la fausse Diana faisait mettre ses lettres à la poste dans les diverses capitales européennes. La comédie l’amusait…

Dans l’auditoire, on en sait assez. Le malaise s’accentue. Un rédacteur du Temps se lève ; il déclare que ce qui se passe est intolérable et qu’il ne peut en entendre davantage. Il est expulsé ! Le bouillant Taunay, rédacteur à la Gazette de France, traite Taxil d’immonde canaille et s’en va. Quelques prêtres quittent la salle.

« Jamais je n’ai été véritablement converti », reprend Taxil, à la première minute de calme relatif. Pour le démontrer, il a pris ses précautions dès l’origine. Il rappelle à quelques amis présents dans la salle certaines paroles énigmatiques dont il les avait priés de prendre note ; par exemple, qu’en se convertissant il ne les trahissait pas. Des libres penseurs présents reconnaissent qu’en effet ils ont su que Taxil, sous l’apparence catholique, demeurait avec eux.

L’infamie de Taxil éclate dans toute son étendue, même si l’on ne se souvient pas à ce moment des injures dont il accablait les catholiques mal convaincus de sa sincérité. Vous n’avez pas l’air de vous douter que vous êtes une immonde fripouille, lui crie Julien de Narfon. L’abbé Garnier se lève, et de sa forte voix, rappelle que dans un procès récent intenté au marquis de Morès pour avoir tué en duel le capitaine Crémieu-Foa, Taxil a apporté un témoignage que ses déclarations d’aujourd’hui impliquent de faux. Tout le monde se met à crier et à injurier l’imposteur dont le cynisme essaie un ricanement pénible. On se précipite sur lui : il est obligé de fuir, sous les huées de la foule et de se réfugier dans une dépendance de café qu’il a prudemment retenue. La farce est close, mais il est lui-même confondu et noyé dans le mépris.