Page:Raynal - Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes, v5.djvu/38

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uſages & ſes goûts : cet amour n’eſt qu’un ſentiment factice qui naît dans la ſociété, mais inconnu dans l’état de nature. Le cours de la vie morale du ſauvage, eſt entièrement opposé à celle de l’homme ſocial.

Celui-ci ne jouit des bienfaits de la nature que dans ſon enfance. À meſure que ſes forces & ſa raiſon ſe développent, il perd de vue le préſent, pour s’occuper tout entier de l’avenir. Ainſi, l’âge des paſſions & des plaiſirs, le tems ſacré que la nature deſtinoit à la jouiſſance, ſe paſſe dans la ſpéculation & dans l’amertume. Le cœur ſe refuſe ce qu’il déſire, ſe reproche ce qu’il s’eſt permis, également tourmenté par l’uſage & la privation des biens qui le flattent. Regrettant ſans ceſſe la liberté qu’il a toujours ſacrifiée, l’homme revient, en ſoupirant, ſur ſes premières années que des objets toujours nouveaux entretenoient d’un ſentiment continuel de curioſité & d’eſpérance. Il ſe rappelle avec attendriſſement le séjour de ſon enfance. Le ſouvenir de ſes innocens plaiſirs embellit, ſans ceſſe, l’image de ſon berceau, & le retient ou le ramène dans ſa patrie : tandis que le ſauvage, qui jouit, à chaque