Page:Raynal - Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes, v6.djvu/41

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tems à couper la racine des autres ; & l’ignorance, qui ne ſauroit démêler le but de les projets, lui en aſſure le ſuccès. Sa politique lui ſuggère cent moyens d’étonner, & il ne tarde pas à obtenir de la vénération. Alors il commande, & ſes ordres ſeront appuyés, ſelon la circonſtance, de l’autorité du ciel. Il eſt grand-prêtre & légiſlateur pendant ſa vie. Après ſa mort, il a des autels ; il eſt invoqué ; il eſt dieu. La condition du reſtaurateur d’une nation corrompue eſt bien différente. C’eſt un architecte qui ſe propoſe de bâtir ſur une aire couverte de ruines. C’eſt un médecin qui tente la guériſon d’un cadavre gangrené. C’eſt un ſage qui prêche la réforme à des endurcis. Il n’a que de la haine & des persécutions à obtenir de la génération préſente. Il ne verra pas la génération future. Il produira peu de fruit, avec beaucoup de peine, pendant ſa vie, & n’obtiendra que de ſtériles regrets après ſa mort. Une nation ne ſe régénère que dans un bain de ſang. C’eſt l’image du vieil Æſon, à qui Médée ne rendit la jeuneſſe qu’en le dépeçant & en le faiſant bouillir. Quand elle eſt déchue, il n’appartient pas à un homme