Page:Raynal - Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes, v7.djvu/422

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Un jour ils la ſuivirent au fond d’un bois. La, chacun des deux l’embraſſe à l’envi, la ſerre mille fois contre ſon cœur, lui fait tous les ſermens, lui donne tous les noms qu’inventa la tendreſſe ; & tout-à-coup, ſans ſe parler, ſans ſe regarder, ils lui plongent à la fois un poignard dans le ſein. Elle expire ; & leurs larmes, leurs ſanglots, ſe confondent avec ſes derniers ſoupirs. Ils rugiſſent. Le bois retentit de leurs cris forcenés. Un eſclave accourt. Il les voit de loin qui couvrent de leurs baiſers la victime de leur étrange amour. Il appelle, on vient, & l’on trouve ces deux amis qui, le poignard à la main, ſe tenant embraſſés ſur le corps de leur malheureuſe amante, baignés dans leur ſang, expiroient eux-mêmes dans les flots qui ruiſſeloient de leurs propres bleſſures.

Ces amans, ces amis étoient dans les fers. C’eſt dans cette condition aviliſſante, que naiſſent des actions dignes d’étonner l’univers. Malheur à celui que l’énergie de cet amour féroce ne fait pas frémir d’horreur & de pitié. La nature l’a formé, non pas pour l’eſclavage des nègres, mais pour la tyrannie de leurs maîtres. Cet homme aura vécu ſans commi-

ſération,