Page:Raynal - Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes, v7.djvu/421

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ils s’étoient unis par leurs peines, qui, dans les cœurs ſenſibles, attachent plus que les plaiſirs. S’ils n’étoient pas heureux, ils ſe conſoloient au moins dans leurs infortunes. L’amour, qui les fait toutes oublier, vint y mettre le comble. Une négreſſe, eſclave comme eux, avec des regards plus vifs ſans doute & plus brûlans à travers un teint d’ébène que ſous un front d’albâtre, alluma dans ces deux amis une égale fureur. Plus faite pour inſpirer que pour ſentir une grande paſſion, leur amante auroit accepté l’un ou l’autre pour époux : mais aucun des deux ne vouloit la ravir, ne pouvoit la céder à ſon ami. Le tems ne fit qu’accroître les tourmens qui dévoroient leur âme, ſans affoiblir leur amitié ni leur amour. Souvent leurs larmes couloient amères & cuiſantes, dans les embraſſemens qu’ils ſe prodiguoient à la vue de l’objet trop chéri, qui les déſeſpéroit. Ils ſe juroient quelquefois de ne plus l’aimer, de renoncer à la vie plutôt qu’à l’amitié. Toute l’habitation étoit attendrie par le ſpectacle de ces combats déchirans. On ne parloit que de l’amour des deux amis pour la belle négreſſe.