Page:Raynal - Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes, v8.djvu/368

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oublier ſa patrie, ſa langue, ſon nom, & juſqu’à l’articulation des mots. Après quatre ans, cet Européen ſe ſentit ſoulagé du grand fardeau de la vie ſociale, quand il eut le bonheur d’avoir perdu l’uſage de la réflexion & de la pensée, qui le ramenoient vers le paſſé, ou le tourmentoient de l’avenir.

Enfin le ſentiment de l’indépendance étant un des premiers inſtincts de l’homme, celui qui joint à la jouiſſance de ce droit primitif, la sûreté morale d’une ſubſiſtance ſuffiſante, eſt incomparablement plus heureux que l’homme riche environné de loix, de maîtres, de préjugés & de modes qui lui font ſentir à chaque inſtant la perte de ſa liberté. Comparer l’état des ſauvages à celui des enfans, n’eſt-ce pas décider la queſtion ſi fortement débattue entre les philoſophes, ſur les avantages de l’état de nature & de l’état ſocial ? Les enfans, malgré les gênes de l’éducation, ne ſont-ils pas dans l’âge le plus heureux de la vie humaine ? Leur gaieté habituelle, tant qu’ils ne ſont pas ſous la verge du pédantiſme, n’eſt-elle pas le plus sûr indice du bonheur qui leur eſt propre ? Après tout, un mot peut terminer ce grand procès. De-