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CHARLES BAUDELAIRE

meuble ancien. Là où Nadar ne voit qu’un impressionnant portrait de femme de l’école italienne, Banville découvre un authentique chef-d’œuvre de Delacroix et entonne, en son honneur, un hymne extasié. Mais Banville était si plein de lyrisme que le moindre choc en amenait le débordement. Son imagination flambait à tout comme un feu de paille.

Il y a des cas pourtant où le lyrisme de Banville s’accorde avec la réalité et n’en est que l’expression. L’un de ces cas, le plus imprévu, est celui où il nous trace le portrait de Baudelaire à vingt ans.

Ô rare exemple d’un visage réellement divin, réunissant toutes les chances, toutes les forces et les séductions les plus irrésistibles ! Le sourcil est pur, allongé, d’un grand arc adouci… l’œil long, noir, profond… le nez gracieux, ironique… La bouche est arquée et affinée déjà par l’esprit, pourprée et d’une belle chair… Le visage est d’une pâleur chaude, brune, sous laquelle apparaissent les tons roses d’un sang riche et beau… Une barbe enfantine, idéale, de jeune dieu… Le front haut, large, magnifiquement dessiné, s’orne d’une noire, épaisse et charmante chevelure naturellement ondée et bouclée[1].

Voilà de quoi étonner ceux qui ne connaissent de Baudelaire que le portrait placé en tête des Fleurs du Mal, de l’édition Calmann-Lévy. Comment reconnaître dans cette face glabre, au front

  1. Th. de Banville, Mes souvenirs (Charpentier édit.).